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DOUBLE ATTAQUE.

trop noir, et produisait cet effet magique si recherché des peintres, qu’ils appellent « clair-obscur » en leur langage. Cette jeune femme ainsi posée formait un tableau charmant, qui n’eût eu besoin que d’être copié par un habile homme pour devenir l’honneur et la perle d’une galerie.

Croyant que ce fût quelque fille de chambre qui entrât pour les besoins du service, Isabelle n’avait pas relevé ses longues paupières dont les cils, traversés du jour, ressemblaient à des fils d’or, et continuait dans une somnolence rêveuse à débiter machinalement ses rimes comme on égrène un chapelet, presque sans y penser. Elle n’avait d’ailleurs aucune défiance, en plein jour, dans cette auberge toute pleine de monde, tout près de ses camarades, et ne sachant pas que Vallombreuse fût à Paris. Les tentatives contre Sigognac ne s’étaient pas renouvelées, et la jeune comédienne, quelque timide qu’elle fût, commençait à reprendre un peu d’assurance. Sa froideur avait sans doute découragé le caprice du jeune duc, auquel en ce moment elle ne pensait non plus qu’au prêtre Jean ou à l’empereur de la Chine.

Vallombreuse s’était avancé jusqu’au milieu de la chambre, suspendant ses pas, retenant son haleine, pour ne pas déranger ce gracieux tableau qu’il contemplait avec un ravissement bien concevable ; en attendant qu’Isabelle levât les yeux et l’aperçût, il avait mis un genou en terre et tenait d’une main son feutre dont la plume balayait le plancher, tandis qu’il appuyait l’autre main sur son cœur dans une pose