Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
LE CAPITAINE FRACASSE.

— Comme vous voudrez, dit Vallombreuse avec une nonchalance hautaine, mais faites vite ; voici déjà des têtes qui se mettent aux fenêtres et se penchent pour me regarder comme si j’étais le Grand Turc ou l’Amorabaquin.

— Je vais vous précéder pour vous montrer le chemin, » dit l’hôtelier, tenant des deux mains son bonnet pressé sur son cœur.

L’escalier franchi, le duc et son guide s’engagèrent dans un long corridor sur lequel s’ouvraient des portes comme dans un cloître de couvent. Arrivé devant la chambre d’Isabelle, l’hôte s’arrêta et dit :

« Qui aurai-je l’honneur d’annoncer ?

— Vous pouvez vous retirer maintenant, répondit Vallombreuse en mettant la main sur la clef, je m’annoncerai moi-même. »

Isabelle, assise près de la fenêtre dans une chaise haute, en manteau du matin, les pieds nonchalamment allongés sur un tabouret de tapisserie, était en train d’étudier le rôle qu’elle devait remplir dans la pièce nouvelle. Les yeux fermés, afin de ne pas voir les paroles écrites sur son cahier, elle répétait à voix basse, comme un écolier sa leçon, les huit ou les dix vers qu’elle venait de lire plusieurs fois. La lumière de la croisée, dessinant le contour velouté de son profil, piquait des étincelles d’or aux petits cheveux follets qui se crespelaient sur sa nuque, et faisait luire la nacre transparente de ses dents dans sa bouche entr’ouverte. Un reflet tempérait par sa lueur argentée ce que l’ombre, baignant les chairs et le vêtement, aurait eu de