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LE CAPITAINE FRACASSE.

un coup d’œil interrogatif au miroir de Venise, lequel, contre l’ordinaire des miroirs, lui faisait à chaque demande une réponse flatteuse.

« Il faudrait que cette péronnelle fût diantrement superbe, revêche et dégoûtée, pour ne pas devenir subitement toute vive amoureuse folle de moi, malgré ses simagrées de vertu et ses langueurs platoniques avec le Sigognac. Oui, ma toute belle, vous figurerez bientôt dans un de ces cadres ovales, peinte au naturel, en Phœbé forcée malgré sa froideur de venir baiser Endymion. Vous prendrez place parmi ces déités qui furent d’abord non moins prudes, farouches et hyrcaniennes que vous ne l’êtes, et qui sont plus grandes dames assurément que vous ne le serez jamais. Votre défaite ne manquera pas longtemps à ma gloire ; car sachez, ma petite comédienne, que rien ne peut faire obstacle à la volonté d’un Vallombreuse. Frango nec frangor, telle est ma devise ! »

Un laquais vint annoncer que le carrosse était avancé. La distance qui sépare la rue des Tournelles, où demeurait le duc de Vallombreuse, de la rue Dauphine, fut bientôt franchie au trot de quatre vigoureux mecklembourgeois touchés par un cocher de grande maison, qui n’eût pas cédé le haut du pavé à un prince du sang, et qui coupait insolemment toutes les voitures. Quelque hardi et sûr de lui-même que fût le duc, pendant le trajet, il ne put se défendre d’une certaine émotion assez rare chez lui. L’incertitude de savoir comment il serait reçu de cette dédaigneuse Isabelle lui faisait battre le cœur un peu