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LE CAPITAINE FRACASSE.

de pièces d’or. À la vue de ces monnaies qui bruissaient avec un tintement persuasif, les yeux de chouette de la douegna s’allumèrent, perçant de deux trous lumineux le cuir basané de sa face morte. Elle parut réfléchir profondément et resta quelques instants muette.

Vallombreuse attendait avec impatience le résultat de cette rêverie ; enfin la vieille reprit la parole.

« À défaut de son âme, peut-être puis-je vous livrer son corps. Une empreinte de serrure à la cire, une fausse clef et un bon narcotique feraient l’affaire.

— Pas de cela ! interrompit le duc, qui ne put se défendre d’un mouvement de dégoût. Fi donc ! posséder une femme endormie, un corps inerte, une morte, une statue sans conscience, sans volonté, sans souvenir, avoir une maîtresse qui au réveil vous regarderait les yeux étonnés comme sortant d’un rêve, et reprendrait aussitôt son aversion pour vous avec son amour pour un autre ! être un cauchemar, un songe lubrique qu’on oublie au matin ! jamais je ne descendrai si bas.

— Votre Seigneurie a raison, dit Léonarde, la possession n’est rien si l’on n’a le consentement, et je ne proposais cet expédient qu’à bout de ressources. Je n’aime pas non plus ces moyens ténébreux, et ces breuvages qui sentent la pharmacopée de l’empoisonneuse. Mais pourquoi étant beau comme Adonis favori de Vénus, splendide en vos ajustements, riche, puissant à la cour, ayant tout ce qui plaît aux femmes, ne faites-vous pas tout simplement la cour à l’Isabelle ?

— Eh ! pardieu, la vieille a raison, s’écria Val-