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DOUBLE ATTAQUE.

ce hobereau réussit là où j’échoue et entre les bras de sa maîtresse se raille de ma déconvenue.

— Votre Seigneurie peut s’épargner ce chagrin. Sigognac ne jouit point de ses amours au sens que l’entend monsieur le duc. La vertu d’Isabelle n’a reçu aucune brèche. La tendresse de ces parfaits amants, bien que vive, est toute platonique et se contente de quelque baiser sur la main ou sur le front. C’est pour cela qu’elle dure ; satisfaite, elle s’éteindrait toute seule.

— Dame Léonarde, êtes-vous bien sûre de cela ? est-il croyable qu’ils vivent ainsi chastement ensemble dans la licence des coulisses et des voyages, couchant sous le même toit, soupant à la même table, rapprochés sans cesse par les nécessités des répétitions et des jeux de scène ? Il faudrait qu’ils fussent des anges.

— Isabelle est à coup sûr un ange, et elle n’a pas l’orgueil qui fit choir Lucifer du ciel. Quant à Sigognac, il obéit aveuglément à sa maîtresse, et accepte tous les sacrifices qu’elle lui impose.

— S’il en est ainsi, dit Vallombreuse, que pouvez-vous faire pour moi ? Allons, cherchez dans quelque tiroir secret de votre boîte à malice un vieux stratagème irrésistible, une fourberie triomphante, une machination à rouages compliqués qui me donne la victoire ; vous savez que l’or et l’argent ne me coûtent rien. »

Et il plongea sa main, plus blanche et aussi délicate que celle d’une femme, dans une coupe de Benvenuto Cellini, posée sur une table auprès de lui et remplie