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LE CAPITAINE FRACASSE.

mais il ne jugea pas à propos d’entamer sur ce sujet une controverse qui eût pu aigrir l’humeur irritable de Vallombreuse.

« Guérissez-vous d’abord et nous aviserons ensuite ; ces discours vous fatiguent. Tâchez de prendre quelque repos et de ne point vous tracasser ainsi ; le chirurgien me tancerait et me taxerait de mauvais garde-malade si je ne vous recommandais la tranquillité tant d’esprit que de corps. »

Le blessé, se rendant à cette observation, se tut, ferma les yeux et ne tarda pas à s’endormir.

Sigognac et le marquis de Bruyères étaient tranquillement revenus à l’hôtel des Armes de France, où, en gentilshommes discrets, ils ne sonnèrent mot du duel ; mais les murailles qu’on dit avoir des oreilles ont aussi des yeux : elles voient pour le moins aussi bien qu’elles entendent. Dans ce lieu solitaire en apparence, plus d’un regard inquisiteur épiait les diverses fortunes du combat. L’oisiveté de la province fait naître beaucoup de ces mouches invisibles ou peu remarquées qui voltigent aux endroits où il doit se passer quelque chose, et qui, bourdonnant des ailes, vont ensuite en répandre la notice partout. À son déjeuner, tout Poitiers savait déjà que le duc de Vallombreuse avait été blessé en une rencontre par un adversaire inconnu. Sigognac, vivant fort retiré à l’hôtel, n’avait montré au public que son masque et non sa figure. Ce mystère irritait fort la curiosité, et les imaginations travaillaient avec activité pour découvrir le nom du vainqueur. Il est inutile de rapporter les suppositions