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LE RADIS COURONNÉ.

étaient jonchées de reliefs, de carcasses et d’os jamboniques qu’on eût dit déchiquetés par les crocs de mâtins charogneux. Çà et là quelque broc renversé pendant le tumulte d’une querelle épanchait un reste de vin, dont les gouttes tombant dans la mare rouge qu’elles avaient formée, semblaient les gouttes de sang d’une tête coupée reçues dans un bassin ; le bruit de leur chute, intermittent et régulier, scandait comme le tic-tac d’une horloge le ronflement des ivrognes.

Le petit More du Marché-Neuf frappa quatre heures. Le cabaretier, qui s’était assoupi, la tête appuyée sur ses bras en croix, s’éveilla, promena un regard inquisitif autour de la salle, et voyant que la consommation s’était ralentie, il appela ses garçons et leur dit : « Il se fait tard ; balayez-moi ces marauds et ces coquines avec les épluchures : aussi bien ils ne boivent plus ! » Les garçons brandirent leurs balais, jetèrent trois ou quatre seaux d’eau, et en moins de cinq minutes, à grand renfort de bourrades, le cabaret fut vidé dans la rue.