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LE CAPITAINE FRACASSE.

Jacquemin Lampourde avait accompli la promesse qu’il s’était faite après la réponse de l’oracle en faveur du cabaret. Il était saoul comme grive en vendange ; mais personne n’était maître de sa boisson comme Lampourde. Il gouvernait le vin et le vin ne le gouvernait pas. Pourtant quand il se leva, il lui sembla que ses jambes pesaient comme saumons de plomb et s’enfonçaient dans le plancher. D’un vigoureux coup de jarret il détacha ses pieds alourdis et marcha résolûment vers la porte, la tête haute et tout d’une pièce. Malartic le suivit d’un pas assez ferme, car rien ne pouvait ajouter à son ivresse. Plongez en la mer une éponge saturée d’eau, elle n’en boira pas une goutte de plus. Tel était Malartic, à cette différence près que chez lui le liquide n’était pas eau, mais bien pur jus de sarment. La sortie des deux camarades s’effectua donc sans encombre, et ils parvinrent à se hisser, quoiqu’ils ne fussent pas des anges, par l’échelle de Jacob montant de la rue au grenier de Lampourde.

À cette heure, le cabaret présentait un aspect lamentablement ridicule. Le feu s’éteignait dans l’âtre. Les chandelles, qu’on ne mouchait plus, avaient un pied de nez, et leurs mèches balançaient de larges champignons noirs. Des stalactites de suif en coulaient le long des chandeliers où elles se figeaient en se refroidissant. La fumée des pipes, des haleines et des mets s’était condensée près du plafond en un épais brouillard ; le plancher, couvert de débris et de boue, aurait eu besoin pour le nettoyer qu’on y fît passer un fleuve comme dans les étables d’Augias. Les tables