Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
LE RADIS COURONNÉ.

braves et tu m’aboucheras avec eux lorsqu’il en sera temps. Sur ce, achevons cette quarte bouteille et tirons nos grègues d’ici. Le lieu commence à devenir plus méphitique que le lac Averne, au-dessus duquel les oiseaux ne peuvent voler sans tomber morts pour la malignité des exhalaisons. Cela sent le gousset, l’écafignon, le faguenas et le cambouis. L’air frais de la nuit nous fera du bien. À propos, où couches-tu ce soir ?

— Je n’ai point envoyé en avant mon fourrier préparer mes logis, répondit Malartic, et ma tente n’est dressée nulle part ; je pourrais frapper à l’hôtel de la Limace, mais j’y ai un mémoire long comme mon épée, et rien n’est plus désagréable à voir au réveil que la mine renfrognée d’un vieil hôte qui se refuse avec grognement à la moindre dépense nouvelle et réclame son dû, agitant une poignée de notes au-dessus de sa tête comme le sieur Jupin son foudre. L’apparition subite d’un exempt me serait moins maussade.

— Pur effet nerveux, faiblesse compréhensible, car chaque grand homme a la sienne, fit sentencieusement Lampourde ; mais puisqu’il te répugne de te présenter à la Limace, et que l’hôtel de la Belle-Étoile est un peu trop réfrigérant par l’hiver qui court, je t’offre l’hospitalité antique de mon taudis aérien et pour couche la moitié de mon tréteau.

— J’accepte, répondit Malartic, avec une reconnaissance bien sentie. Ô trois et quatre fois heureux le mortel qui a des lares et des pénates et peut faire asseoir à son foyer l’ami de son cœur ! »