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LE RADIS COURONNÉ.

mobile. La petite, accoutumée à ces exercices, ne témoignait ni frayeur ni surprise ; elle restait là, les bras ballants, regardant devant elle avec une sérénité parfaite, tandis qu’Agostin placé à l’autre bout de la salle, un pied avancé, l’autre en retraite, balançait le long couteau dont le manche était appuyé sur son avant-bras.

Une double haie de curieux formait une sorte d’allée d’Agostin à Chiquita, et ceux des truands qui avaient la barrique proéminente la rentraient en retenant leur respiration, de peur qu’elle ne dépassât la ligne. Les nez en flûtes d’alambic se reculaient prudemment pour n’être pas tranchés au vol.

Enfin le bras d’Agostin se détendit comme un ressort, un éclair brilla et l’arme formidable alla se planter dans la porte juste au-dessus de la tête de Chiquita, sans lui couper un cheveu, mais avec une précision telle qu’il semblait qu’on eût voulu prendre la mesure de sa taille.

Quand la navaja passa en sifflant, les spectateurs n’avaient pu s’empêcher de baisser les yeux ; mais l’épaisse frange de cils de la jeune fille n’avait pas même palpité. L’adresse du bandit excita une rumeur admirative parmi ce public difficile. L’adversaire même qui avait douté que ce coup fût possible battit des mains plein d’enthousiasme.

Agostin détacha le couteau qui vibrait encore, retourna à son poste, et cette fois fit passer la lame entre le bras et le corps de Chiquita impassible. Si la pointe eût dévié de trois ou quatre lignes, elle arrivait en