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LE CAPITAINE FRACASSE.

tance, sous prétexte que la cour n’étant plus ici, elles ne reçoivent ni régals ni cadeaux, et sont obligées pour vivre de mettre leurs nippes en gage. Sans un vieux cornard jaloux qui m’emploie à bâtonner les amants de sa femme, je n’aurais pas gagné ce mois-ci de quoi boire de l’eau, nécessité à laquelle nul dénûment ne me forcera, la mort perpendiculaire me semblant cent fois plus douce. On ne m’a pas commandé le moindre guet-apens, le plus léger rapt, le plus petit assassinat. En quel temps vivons-nous, mon Dieu ! Les haines mollissent, les rancunes s’en vont à vau-l’eau, le sentiment de la vengeance se perd ; on oublie les insultes comme les bienfaits ; le siècle embourgeoisé s’énerve et les mœurs deviennent d’une fadeur qui me dégoûte.

— Le bon temps est passé, répliqua Jacquemin Lampourde ; autrefois un grand aurait pris nos courages à son service. Nous l’aurions aidé en ses expéditions et besognes secrètes, maintenant il faut travailler pour le public. Cependant il y a encore quelques bonnes aubaines. »

Et en disant ces mots il agitait des pièces d’or dans sa poche. Cette sonnerie mélodieuse fit petiller étrangement l’œil de Malartic ; mais, bientôt son regard reprit son expression placide, l’argent d’un camarade étant chose sacrée ; il se contenta de pousser un soupir qui pouvait se traduire par ces mots : « Tu es bien heureux, toi ! »

« Je pense d’ici à peu, continua Lampourde, pouvoir te procurer du travail, car tu n’es pas paresseux