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LE RADIS COURONNÉ.

rampe et faisant de petites façons enfantines, car même en la débauche la plus abandonnée il faut encore quelques semblants de pudeur. D’autres redescendaient la mine confuse, tandis que leur Amaryllis de rencontre faisait bouffer sa jupe de l’air le plus détaché du monde.

Lampourde, habitué de longue main à ces mœurs qui, d’ailleurs, lui paraissaient naturelles, ne prêtait aucune attention au tableau dont nous venons de tirer un crayon rapide. Assis devant une table, le dos appuyé au mur, il regardait d’un œil plein de tendresse et de concupiscence une bouteille de vin des Canaries qu’une servante venait d’apporter, une bouteille antique et recommandable, de derrière les fagots et du cas réservé aux goinfres et biberons émérites. Quoique le bretteur fût seul, deux verres avaient été placés sur la table, car on savait son horreur pour l’ingurgitation solitaire des liquides, et d’un moment à l’autre un compagnon de beuverie pouvait lui survenir. En attendant ce convive fortuit, Lampourde élevait lentement, à la hauteur de sa visée, le verre effilé de patte et tourné en clochette de liseron où brillait, pailletée d’un point lumineux, la blonde et généreuse liqueur. Puis, ayant satisfait le sens de la vue en admirant cette chaude couleur de topaze brûlée, il passait au sens de l’odorat, et, remuant le vin par une secousse ménagée qui lui imprimait une sorte de rotation, il en humait l’arome à narines aussi béantes que les fosses d’un dauphin héraldique. Restait le sens du goût. Les papilles du palais, convenablement excitées, s’impré-