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LE CAPITAINE FRACASSE.

plus agréable aux ivrognes que toute autre sorte d’ornement. Dans la cheminée à grande hotte, flambaient des fagots de bourrée dont les bouts brûlaient jusque sur le plancher, qui, n’étant fait que d’un carrelage de vieilles briques, ne courait pas risque d’incendie. Ce feu illuminait de ses reflets l’étain d’un comptoir placé vis-à-vis et où trônait le cabaretier, derrière un rempart de pots, de pintes, de bouteilles et de brocs. Sa vive lueur, éteignant les auréoles jaunes des chandelles qui grésillaient dans la fumée, faisait danser le long des murailles les ombres des buveurs dessinées en caricatures, avec des nez extravagants, des mentons de galoche, des toupets de Riquet à la houppe et des déformations aussi bizarres que celles des Songes drolatiques de maître Alcofribas Nasier. Ce sabbat de découpures noires, s’agitant et fourmillant derrière les figures réelles, semblait s’en moquer et en faire spirituellement la parodie. Les habitués du bouge, assis sur des bancs, s’accoudaient sur des tables dont le bois tailladé d’estafilades, chamarré de noms gravés au couteau, tatoué de brûlures, était gras de sauces et de vins répandus ; mais les manches qui l’essuyaient ne pouvaient pour la plupart être salies, quelques-unes même étant percées au coude n’y compromettaient que la chair du bras qu’elles étaient censées revêtir. Éveillées au tintamarre du cabaret, deux ou trois poules, Lazares emplumés, qui à cette heure eussent dû être juchées sur leur perchoir, s’étaient glissées dans la salle par une porte communiquant avec la cour, et picoraient sous les pieds