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XII

LE RADIS COURONNÉ


En quittant Mérindol, une incertitude travaillait Jacquemin Lampourde, et lorsqu’il fut arrivé au bout du Pont-Neuf, il s’arrêta et demeura quelque temps perplexe comme l’âne de Buridan entre ses deux mesures d’avoine, ou, si cette comparaison ne vous plaît point, comme un fer entre deux aimants d’égale force. D’une part le lansquenet exerçait sur lui une attraction impérieuse avec son tintement lointain de pièces d’or ; de l’autre le cabaret se présentait orné de séductions non moindres, faisant sonner son carillon de pots. Embarrassante alternative ! Bien que les théologiens fassent du libre arbitre la plus belle prérogative de l’homme, Lampourde, maîtrisé par deux penchants irrésistibles, car il était aussi joueur qu’ivrogne, et aussi ivrogne que joueur, ne savait réellement à quoi se décider. Il fit trois pas vers le tripot ; mais les bouteilles pansues, couvertes de poussière, drapées de toiles d’araignée, coiffées d’un rouge casque de cire, apparurent à son imagination sous un rayon si vif qu’il en fit trois pas vers le cabaret. Alors le Jeu agita fantastiquement à ses oreilles un cornet plein de dés plombés, et lui arrondit devant les yeux un demi-