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LE PONT-NEUF.

dilles. Décidément le vol m’ennuie, je ne fais plus que l’assassinat, c’est plus noble. On est un carnassier léonin, et non une bête de rapine. S’il s’agit de tuer, je suis votre homme, et encore faut-il que l’attaqué se défende. Les victimes sont si lâches parfois que cela me dégoûte. Un peu de résistance donne du cœur à l’ouvrage.

— Oh ! pour cela sois tranquille, répondit Mérindol avec un mauvais sourire. Tu trouveras à qui parler.

— Tant mieux, fit Jacquemin Lampourde, il y a longtemps que je ne me suis escrimé avec quelqu’un de ma force. Mais en voilà assez. Sur ce, bonsoir, et laissez-moi dormir. »

Mérindol parti, Jacquemin Lampourde essaya de se rendormir, mais en vain. Le sommeil interrompu ne revint pas. Le bretteur se leva, secoua rudement le compagnon qui ronflait sous la table et tous deux s’en allèrent dans un tripot où se jouaient le lansquenet et la bassette. L’assistance était composée de plumets, de spadassins, de filous, de laquais, de clercs, de quelques bourgeois naïfs conduits là par des filles, pauvres pigeons destinés à être plumés vifs. On n’entendait que le bruit des dés roulant dans le cornet et le froissement des cartes battues, car les joueurs sont d’ordinaire silencieux, sauf, en cas de perte, quelques interjections blasphématoires. Après les alternatives de chance et de guignon, le vide, duquel la nature et l’homme surtout ont horreur, fut hermétiquement pratiqué dans les pochettes de Lampourde.