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LE CHARIOT DE THESPIS.

lieu ordinairement si désert. Le chien courait vaguement de Pierre à son maître, les interrogeant de son œil bleuâtre et grommelant après les inconnus. Le chat, plus réfléchi, flairait d’un nez circonspect les roues, examinait d’un peu plus loin les bœufs, dont la masse lui imposait et qui, par un mouvement de corne imprévu, lui faisaient prudemment exécuter un saut en arrière ; puis il allait s’asseoir sur son derrière, en face du vieux cheval blanc avec lequel il avait des intelligences, et semblait lui faire des questions ; la bonne bête penchait sa tête vers le chat, qui levait la sienne, et brochant ses barres grises hérissées de longs poils, sans doute pour broyer quelque brin de fourrage engagé entre ses vieilles dents, semblait véritablement parler à son ami félin. Que lui disait-il ? Démocrite, qui prétendait traduire le langage des animaux, eût pu seul le comprendre ; toujours est-il que Béelzébuth, après cette conversation tacite, qu’il communiqua à Miraut par quelques clignements d’œil et deux ou trois petits cris plaintifs, parut être fixé sur le motif de tout ce remue-ménage. Quand le Baron fut en selle et eut rassemblé les courroies de la bride, Miraut prit la droite et Béelzébuth la gauche du cheval, et le sire de Sigognac sortit du château de ses pères entre son chien et son chat. Pour que le prudent matou se fût décidé à cette hardiesse si peu habituelle à sa race, il fallait qu’il eût deviné quelque résolution suprême.

Au moment de quitter cette triste demeure, Sigognac se sentit le cœur oppressé douloureusement. Il embrassa encore une fois du regard ces murailles noires