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LE CHARIOT DE THESPIS.

relle bonté de cœur était touchée d’une offre faite franchement et qui répondait si bien à son secret désir. Il craignait, en outre, s’il refusait Blazius, de blesser l’amour-propre du comédien, et peut-être de manquer une occasion qui ne se représenterait jamais. Sans doute la pensée du descendant des Sigognac pêle-mêle dans le chariot de Thespis avec des histrions nomades, avait quelque chose de choquant en soi qui devait faire hennir les licornes et rugir les lions lampassés de gueules de l’armorial ; mais, après tout, le jeune baron avait suffisamment boudé contre son ventre derrière ses murailles féodales.

Il flottait, incertain entre le oui et le non, et pesait ces deux monosyllabes décisifs dans la balance de la réflexion, lorsque Isabelle, s’avançant d’un air gracieux et se plaçant devant le Baron et Blazius, dit cette phrase qui mit fin aux incertitudes du jeune homme :

« Notre poëte, ayant fait un héritage, nous a quittés, et monsieur le Baron pourrait le remplacer, car j’ai trouvé, sans le vouloir, en ouvrant un Ronsard qui était sur la table, près de son lit, un sonnet surchargé de ratures, qui doit être de sa composition ; il ajusterait nos rôles, ferait les coupures et les additions nécessaires, et, au besoin, écrirait une pièce sur l’idée qu’on lui donnerait. J’ai précisément un canevas italien où se trouverait un joli rôle pour moi, si quelqu’un voulait donner du tour à la chose. »

En disant cela, l’Isabelle jetait au Baron un regard si doux, si pénétrant, que Sigognac n’y put résister.