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LE CAPITAINE FRACASSE.

hidalgo espagnol, à côté de son blason, que de faire une demande quelconque d’avance ou de prêt. Il était de ceux-là qui, l’estomac vide devant un excellent repas où on les invite, feignent d’avoir dîné, de peur d’être soupçonnés de faim.

« J’y ai bien songé quelquefois, mais je n’ai point d’amis à Paris, et les descendants de ceux qui ont pu connaître ma famille lorsqu’elle était plus riche et remplissait des fonctions à la cour, ne se soucieront pas beaucoup d’un Sigognac hâve et maigre, arrivant avec bec et ongles du haut de sa tour ruinée pour prendre sa part de la proie commune. Et puis, je ne vois pas pourquoi je rougirais de le dire, je n’ai point d’équipage, et je ne saurais paraître sur un pied digne de mon nom ; je ne sais même, en réunissant toutes mes ressources et celles de Pierre, si je pourrais arriver jusqu’à Paris.

— Mais vous n’êtes pas obligé, répliqua Blazius, d’entrer triomphalement dans la grande ville, comme un César romain monté sur un char traîné par un quadrige de chevaux blancs. Si notre humble char à bœufs ne révolte pas l’orgueil de Votre Seigneurie, venez avec nous à Paris, puisque notre troupe s’y rend. Tel brille présentement qui a fait son entrée pédestrement, avec son paquet au bout de sa rapière et tenant ses souliers à la main de peur de les user. »

Une faible rougeur monta aux pommettes de Sigognac, moitié de honte, moitié de plaisir. Si, d’une part, l’orgueil de race se révoltait en lui à l’idée d’être l’obligé d’un pauvre saltimbanque, de l’autre, sa natu-