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LE CAPITAINE FRACASSE.

large, et une nuit est bientôt passée. Ces messieurs resteront ici, et s’accommoderont des fauteuils et des bancs… Surtout, n’allez pas avoir peur des ondulations de la tapisserie, ni des gémissements du vent dans la cheminée, ni des sarabandes des souris ; je puis vous certifier que, quoique le lieu soit assez lugubre, il n’y revient point de fantômes.

— Je joue les Bradamante et ne suis pas poltronne. Je rassurerai la timide Isabelle, dit la Sérafina en riant ; quant à notre duègne, elle est un peu sorcière, et si le diable vient, il trouvera à qui parler. »

Sigognac prit une lumière, et conduisit les dames dans la chambre à coucher, qui leur parut, en effet, très-fantastique d’aspect, car la lampe tremblotante, agitée par le vent, faisait vaciller des ombres bizarres sur les poutres du plafond, et des formes monstrueuses semblaient s’accroupir dans les angles non éclairés.

« Cela ferait une excellente décoration pour un cinquième acte de tragédie, » dit la Sérafina, en promenant ses regards autour d’elle, tandis qu’Isabelle ne pouvait comprimer un frisson, moitié de froid, moitié de terreur, en se sentant enveloppée par cette atmosphère de ténèbres et d’humidité. Les trois femelles se glissèrent sans se déshabiller sous la couverture. Isabelle se mit entre la Sérafina et la Duègne pour que si quelque patte pelue de fantôme ou d’incube sortait de dessous le lit, elle rencontrât d’abord une de ses camarades. Les deux braves s’endormirent bientôt, mais la craintive jeune fille resta longtemps les yeux ouverts et fixés sur la porte condamnée, comme si elle eût