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LE CHARIOT DE THESPIS.

blanc rasé de si près que la barbe n’y paraissait pas. Un flot de linge assez propre bouillonnait entre sa veste et ses chausses tuyautées d’un monde de rubans, dont la conservation paraissait l’occuper beaucoup. En regardant la muraille, il avait l’air de mourir d’amour, et ne demandait point à boire sans pâmer. Il ponctuait ses phrases de soupirs et faisait, en parlant des choses les plus indifférentes, des clins d’yeux, des airs penchés et des mines à crever de rire ; mais les femmes trouvaient cela charmant.

Le Scapin avait une tête de renard, futée, pointue, narquoise : ses sourcils remontaient sur son front en accent circonflexe, découvrant un œil émerillonné toujours en mouvement, et dont la prunelle jaune tremblotait comme une pièce d’or sur du vif-argent ; des pattes d’oie de rides malignes se plissaient à chaque coin de ses paupières pleines de mensonges, de ruses et de fourberies ; ses lèvres, minces et flexibles, remuaient perpétuellement, et montraient, à travers un sourire équivoque, des canines aiguës d’aspect assez féroce ; et, quand il ôtait sa barrette rayée de blanc et de rouge, ses cheveux coupés en brosse accusaient les contours d’une tête bizarrement bossuée. Ces cheveux étaient fauves et feutrés comme du poil de loup, et complétaient le caractère de bête malfaisante répandu sur sa physionomie. On était tenté de regarder aux mains de ce drôle pour voir s’il ne s’y trouvait pas des calus causés par le maniement de la rame, car il avait bien l’air d’avoir passé quelques saisons à écrire ses mémoires sur l’Océan avec une plume de quinze pieds.