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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

çant au milieu du salon où se tenait respectueusement Léandre, défit son touret de nez et le jeta sur la table, découvrant aux lueurs des bougies une figure assez régulière et agréable où brillaient deux beaux yeux couleur de tabac d’Espagne, enflammés de passion et où souriait une bouche bien meublée, rouge comme une cerise et coupée d’une petite raie à la lèvre inférieure. Autour de ce visage frisaient d’opulentes grappes de cheveux bruns qui s’allongeaient jusque sur des épaules blanches et grasses et se hasardaient même à baiser le contour de certains demi-globes dont le frémissement des dentelles qui les voilaient trahissait les palpitations.

« Madame la marquise de Bruyères ! s’écria Léandre surpris au dernier point et quelque peu inquiet, le souvenir de la bastonnade lui revenant, est-ce possible ? suis-je le jouet d’un rêve ? oserai-je croire à ce bonheur inespéré ?

— Vous ne vous trompez pas, mon ami, dit la marquise, je suis bien madame de Bruyères et j’espère que votre cœur me reconnaît comme le font vos yeux.

— Oh ! votre image est là gravée en traits de flamme, répondit Léandre avec un ton pénétré, je n’ai qu’à regarder en moi pour l’y voir parée de toutes les grâces et de toutes les perfections.

— Je vous remercie, dit la marquise, d’avoir gardé ce bon souvenir de moi. Cela prouve une âme bien faite et généreuse. Vous avez dû me croire cruelle, ingrate et fausse. Hélas ! mon faible cœur n’est que trop tendre et j’étais loin d’être insensible à la pas-