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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

nelle, chose plus effrayante encore pour le peureux comédien. Le parterre traversé, Léandre et son guide montèrent la rampe d’une terrasse sur laquelle s’élevait un pavillon d’ordre rustique coiffé d’un dôme et orné de pots-à-feu à ses angles. Ces détails furent observés par notre galant à cette lueur obscure que répand toujours le ciel de la nuit dans un endroit découvert. Ce pavillon eût paru inhabité, si une faible rougeur tamisée par un épais rideau de damas n’eût empourpré l’une des fenêtres découpant son embrasure sur le fond sombre de la masse.

C’était sans doute derrière ce rideau qu’attendait la dame masquée, émue, elle aussi, car, en ces équipées amoureuses, les femmes risquent leur bonne réputation, et parfois leur vie, tout de même que les galants, pour peu que leurs maris apprennent la chose et se trouvent d’humeur brutale. Mais en ce moment Léandre n’avait plus peur ; l’orgueil satisfait lui cachait le danger. Le carrosse, le page, le jardin, le pavillon, tout cela sentait la grande dame, et l’intrigue se nouait d’une façon qui n’avait rien de bourgeois. Il était aux anges, et ses pieds ne touchaient pas la terre. Il aurait voulu que ce méchant raillard de Scapin le vît en cette gloire et ce triomphe.

Le page poussa une grande porte vitrée et se retira, laissant Léandre seul dans le pavillon, qui était meublé avec beaucoup de goût et de magnificence. La voûte formée par le dôme représentait un ciel bleu turquin léger, où flottaient de petits nuages roses et voletaient des Amours en diverses attitudes pleines de