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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

nuit causait en l’âme peu rassurée de Léandre une horreur religieuse et secrète. Il lui semblait entendre son propre glas. Un instant il fut sur le point de rebrousser chemin et d’aller prudemment s’allonger seul entre ses deux draps au lieu de courir les aventures nocturnes ; mais il vit le carrosse attendant à la place désignée, et le petit page, messager de la dame masquée, qui, debout sur le marche-pied, tenait la portière ouverte. Il n’y avait plus moyen de reculer, car peu de gens ont le courage d’être lâches devant témoins. Léandre avait été aperçu par l’enfant et le cocher ; il s’avança donc d’un air délibéré que démentait intérieurement un fort battement de cœur, et il monta dans la voiture avec l’intrépidité apparente d’un Galaor.

À peine Léandre fut-il assis que le cocher toucha ses chevaux, qui prirent un trot soutenu. Une obscurité profonde régnait dans le carrosse ; outre qu’il faisait nuit, des mantelets de cuir étaient rabattus le long des glaces, et ne permettaient pas de rien distinguer au dehors. Le page était resté debout sur le marchepied, et l’on ne pouvait engager de conversation avec lui ni en tirer le moindre éclaircissement. Il paraissait, du reste, fort laconique et peu disposé à dire ce qu’il savait, s’il savait quelque chose. Notre comédien tâtait les coussins, qui étaient de velours piqué de bouffettes ; il sentait sous ses pieds un tapis épais, et il aspirait un faible parfum d’ambre dégagé par l’étoffe de la garniture intérieure, témoignage d’élégance et de recherche. C’était bien chez une personne de