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LE CHÂTEAU DE LA MISÈRE.

de la province aux fêtes et aux chasses sans l’équipage convenable à sa qualité.

Qu’eût-on dit, en effet, de voir le baron de Sigognac accoutré comme un gueux de l’Hostière ou comme un cueilleur de pommes du Perche ? Cette considération l’avait empêché d’aller offrir ses services comme domestique à quelque prince. Aussi beaucoup de gens croyaient-ils que les Sigognac étaient éteints, et l’oubli, qui pousse sur les morts encore plus vite que l’herbe, effaçait cette famille autrefois importante et riche, et bien peu de personnes savaient qu’il existât encore un rejeton de cette race amoindrie.

Depuis quelques instants, Béelzébuth paraissait inquiet, il levait la tête comme s’il subodorait quelque chose d’inquiétant ; il se dressait contre la fenêtre et appuyait ses pattes aux carreaux, cherchant à percer le noir sombre de la nuit rayé de hachures pressées de pluie ; son nez se fronçait et s’agitait. Un hurlement prolongé de Miraut s’élevant au milieu du silence vint bientôt confirmer la pantomime du chat ; il se passait décidément quelque chose d’insolite aux environs du castel, d’ordinaire si tranquille. Miraut continuait d’aboyer avec toute l’énergie que lui permettait son enrouement chronique. Le Baron, pour être prêt à tout événement, reboutonna le pourpoint qu’il allait quitter et se dressa sur ses pieds.

« Qu’a donc Miraut, lui qui ronfle comme le chien des Sept-Dormants, sur la paille de sa niche, dès que le soleil est couché, pour faire un pareil vacarme ? Est-ce qu’un loup rôderait autour des murailles ? »