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LE CAPITAINE FRACASSE.

s’éveilla tout à fait, et d’un saut si brusque, que le bois du lit en craqua, se mit sur son séant, cherchant quelque objet à jeter à la tête du valet de chambre.

« Que le diable embroche de sa corne le triple oison qui interrompt mon sommeil ! cria-t-il d’une voix irritée. Ne t’avais-je point ordonné de ne point entrer qu’on ne t’appelât ? Je te ferai donner cent coups d’étrivières par mon majordome pour m’avoir désobéi. Comment vais-je me rendormir maintenant ? J’ai eu peur un instant que ce ne fût la trop tendre Corisande !

— Monseigneur, répondit le laquais avec un respect prosterné, peut me faire périr sous le bâton si cela lui convient, mais si j’ai osé transgresser la consigne, ce n’est pas sans de bonnes raisons. Monsieur le marquis de Bruyères est là qui voudrait parler à monsieur le duc pour affaire d’honneur, à ce que j’ai compris. Monsieur le duc ne se cèle point en ces occasions, et reçoit toujours ces sortes de visites.

— Le marquis de Bruyères ! fit le duc, est-ce que j’ai eu quelque querelle avec lui ? je ne m’en souviens point ; et d’ailleurs il y a fort longtemps que je ne lui ai parlé. Peut-être s’imagine-t-il que je veux lui souffler Zerbine, car les amoureux se figurent toujours qu’on en veut à leur objet. Allons, Picard, donne-moi ma robe de chambre et rabats les rideaux du lit, qu’on ne voie point le désordre de la couchette. Il ne faut point faire attendre ce brave marquis. »

Picard présenta au duc une magnifique simarre à la vénitienne qu’il alla prendre dans une garde-robe,