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LE CAPITAINE FRACASSE.

le décourager toujours avec des parades invincibles. Il se trompait en cela : le vieux prévôt n’avait caché à son élève chéri aucun des secrets de son art. Pendant des années entières il l’avait tenu aux principes, quoique Sigognac parfois témoignât de l’ennui de ces exercices si longuement répétés, en sorte que le jeune Baron possédait une solidité égale à celle de son maître, mais la jeunesse lui donnait plus de souplesse et de rapidité ; sa vue aussi était meilleure, en sorte que Pierre, quoique sachant une riposte à toute botte, ne parvenait pas aussi régulièrement qu’autrefois à écarter le fer du Baron. Ces défaites, qui eussent aigri un maître d’armes ordinaire, car ces gladiateurs de profession ne se laissent pas volontiers vaincre, même par leurs plus chers, réjouissaient et remplissaient d’orgueil le cœur du brave domestique, mais il cachait sa joie de peur que le Baron ne se négligeât, croyant avoir atteint le but et emporté la palme.

Ainsi en ce siècle de raffinés, de fendeurs de naseaux, de gens campés sur la hanche, de duellistes et de bretteurs fréquentant les salles des maîtres espagnols et napolitains pour apprendre des bottes secrètes et des coups de Jarnac, notre jeune Baron, qui n’était jamais sorti de sa tourelle que pour chasser, à la queue de Miraut, un maigre lièvre sur la bruyère, se trouvait être, sans en avoir la conscience, une des plus fines lames de l’époque, et capable de se mesurer avec les épées les plus célèbres. Peut-être n’avait-il pas l’élégance insolente, la pose délibérée, la forfanterie provocatrice de tel ou tel gentilhomme renommé pour