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LE CAPITAINE FRACASSE.

Quand Sigognac, Hérode et Scapin rentrèrent à l’auberge, ils trouvèrent les autres comédiens fort alarmés. Les cris : Tue ! tue ! et le bruit de la rixe étaient parvenus, à travers le silence de la nuit, aux oreilles d’Isabelle et de ses camarades. La jeune fille avait manqué défaillir, et sans Blazius qui lui soutenait le coude, elle se fût affaissée sur les genoux. Pâle comme une cire et toute tremblante, elle attendait sur le seuil de sa porte pour savoir des nouvelles. À la vue de Sigognac sans blessure, elle poussa un faible cri, leva les bras au ciel et les laissa retomber autour du col du jeune homme, se cachant la figure contre son épaule avec un adorable mouvement de pudeur ; mais, dominant promptement son émotion, elle se dégagea bientôt de cette étreinte, recula de quelques pas et reprit sa réserve habituelle.

« Vous n’êtes pas blessé, au moins ? dit-elle avec sa voix la plus douce. Que de chagrin j’aurais, si, à cause de moi, il vous était arrivé le moindre mal ! Aussi, quelle imprudence ! aller braver ce duc si beau et si méchant, qui a le regard et l’orgueil de Lucifer, pour une pauvre fille comme moi ! Vous n’êtes pas raisonnable, Sigognac ; puisque vous êtes maintenant comédien comme nous, il faut savoir souffrir certaines insolences.

— Je ne laisserai jamais, répondit Sigognac, personne insulter en ma présence à l’adorable Isabelle, encore que j’aie sur la figure le masque d’un capitan.

— Bien parlé, capitaine, dit Hérode, bien parlé et