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LE CAPITAINE FRACASSE.

Si la chambre avait l’air d’une chambre à revenants pendant le jour, c’était encore bien pis le soir à la clarté douteuse de la lampe. La tapisserie prenait des tons livides, et le chasseur, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. Il ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore sur son visage pâle. On eût dit une bouche de vampire empourprée de sang.

La lampe saisie par l’atmosphère humide grésillait et jetait des lueurs intermittentes, le vent poussait des soupirs d’orgue à travers les couloirs, et des bruits effrayants et singuliers se faisaient entendre dans les chambres désertes.

Le temps était devenu mauvais, et de larges gouttes de pluie, poussées par la rafale, tintaient sur les vitres secouées dans leurs mailles de plomb. Quelquefois le vitrage semblait près de ployer et de s’ouvrir, comme si l’on eût fait une pesée à l’extérieur. C’était le genou de la tempête qui s’appuyait sur le frêle obstacle. Parfois, pour ajouter une note de plus à l’harmonie, un des hiboux, nichés sous la toiture, exhalait un piaulement semblable au cri d’un enfant égorgé, ou, contrarié par la lumière, venait heurter à la fenêtre avec un grand bruit d’ailes.

Le châtelain de ce triste manoir, habitué à ces lugubres symphonies, n’y faisait aucune attention. Béelzébuth seul, avec l’inquiétude naturelle aux animaux de son espèce, agitait à chaque bruit les racines