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LE CAPITAINE FRACASSE.

du jeune duc, attendaient déjà depuis plus d’une demi-heure le passage du capitaine Fracasse, qui ne pouvait rentrer à son auberge par un autre chemin. Azolan et Basque s’étaient tapis dans l’embrasure d’une porte, d’un côté de la rue ; Mérindol et Labriche, effacés contre la muraille, avaient pris position juste en face, de manière à faire converger leurs bâtons sur Sigognac, comme les marteaux des cyclopes sur l’enclume. Le groupe des femmes conduit par Blazius et Léandre les avait avertis que Fracasse ne pouvait tarder, et ils se tenaient piétés, les doigts repliés sur le gourdin, prêts à s’acquitter de leur besogne, sans se douter qu’ils allaient avoir affaire à forte partie, car d’habitude les poëtes, histrions et bourgeois que les grands daignent faire bâtonner, prennent la chose en douceur et se contentent de courber le dos.

Sigognac, dont la vue était perçante, bien que la nuit fût fort noire, avait depuis quelques instants déjà découvert les quatre escogriffes à l’affût. Il s’arrêta, et fit mine de vouloir rebrousser chemin. Cette feinte détermina les coupe-jarrets, qui voyaient leur proie s’échapper, à quitter leur embuscade pour courir sus au capitaine. Azolan s’élança le premier, et tous crièrent : « Tue ! tue ! Au capitaine Fracasse de la part de monseigneur le duc ! » Sigognac avait enveloppé à plusieurs tours son bras gauche de son manteau, qui formait, ainsi roulé, une sorte de manchon impénétrable ; de ce manchon, il para le coup de gourdin que lui assenait Azolan, et lui porta de sa rapière une