les vénérer sur le dos du vieux baron, ne les trouvaient pas ridicules sur celui du fils, et ils les saluaient avec la même déférence ; ils n’apercevaient pas plus les déchirures du pourpoint que les lézardes du château. Sigognac, tout pauvre qu’il fût, était toujours à leurs yeux le seigneur, et la décadence de cette famille ne les frappait pas comme elle eût fait les étrangers ; et c’était cependant un spectacle assez grotesquement mélancolique que de voir passer le jeune baron dans ses vieux habits, sur son vieux cheval, accompagné de son vieux chien, comme ce chevalier de la Mort de la gravure d’Albert Dürer.
Le Baron s’assit en silence devant la petite table, après avoir répondu d’un geste de main bienveillant au salut respectueux de Pierre.
Celui-ci détacha la marmite de la crémaillère, en versa le contenu sur son pain taillé d’avance dans une écuelle de terre commune qu’il posa devant le Baron ; c’était ce potage vulgaire qu’on mange encore en Gascogne, sous le nom de garbure ; puis il tira de l’armoire un bloc de miasson tremblant sur une serviette saupoudrée de farine de maïs et l’apporta sur la table avec la planchette qui la soutenait. Ce mets local avec la garbure graissée par un morceau de lard dérobé, sans doute, à l’appât d’une souricière, vu son exiguïté, formait le frugal repas du Baron, qui mangeait d’un air distrait entre Miraut et Béelzébuth, tous deux en extase et le museau en l’air de chaque côté de sa chaise, attendant qu’il tombât sur eux quelques miettes du festin. De temps à autre le Baron jetait à Miraut,