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LES CHOSES SE COMPLIQUENT.

pâmés au-dessus de la tête, des jambes luisant comme un éclair dans le tourbillon des jupes, des hanches plus frétillantes que vif-argent, des reins cambrés à toucher le parquet des épaules, une gorge qui battait la campagne, le tout incendié de regards et de sourires à mettre le feu à une salle si jamais je pouvais danser un tel pas sur un théâtre. Le marquis rayonnait, en sa gloire, fier comme un roi, d’avoir une pareille maîtresse ; mais le lendemain il fut morne, languissant, désœuvré. J’essayai de mes philtres les plus forts, hélas ! ils n’avaient plus de puissance sur lui. Cet état paraissait l’étonner lui même. Parfois, il me regardait fort attentivement comme étudiant sous mes traits la ressemblance d’une autre personne. M’aurait-il prise, pensais-je, pour servir de corps à un souvenir et lui rappellerais-je un amour perdu ? Non, me répondais-je, ces fantaisies mélancoliques ne sont pas dans sa nature. De telles rêvasseries conviennent aux bilieux hypocondriaques et non point à ces joyeux qui ont la joue vermeille et l’oreille rouge.

— N’était-ce point satiété ? dit Blazius, car d’ambroisie même on se dégoûte, et les dieux viennent manger sur terre le pain bis des humains.

— Apprenez, monsieur le sot, répondit Zerbine en donnant une petite tape sur les doigts du Pédant, qu’on n’est jamais las de moi, vous me l’avez dit tout à l’heure.

— Pardonne-moi, Zerbine, et dis-nous ce qui fantasiait l’humeur de M. le marquis ; je grille de l’apprendre.