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LES CHOSES SE COMPLIQUENT.

sortir encore le talon haut de la botte. À l’aisance hardie de ses mouvements, à l’altière sécurité de son maintien, on devinait un grand seigneur, sûr d’être bien reçu partout et devant qui la vie s’ouvrait sans obstacles. Pylade, roux de cheveux et de barbe, vêtu de noir de la tête aux pieds, n’avait pas à beaucoup près, quoique assez joli garçon de sa personne, la même certitude triomphante.

« Je te dis, mon cher, que Corisande m’assomme, fit Oreste en retournant au bout de l’allée et continuant une conversation commencée avant qu’Isabelle n’eût ouvert la fenêtre ; je lui ai fait défendre ma porte et je vais lui renvoyer son portrait aussi maussade que sa personne, avec ses lettres plus ennuyeuses encore que sa conversation.

— Cependant Corisande vous aime, objecta timidement Pylade.

— Qu’est-ce que cela me fait si je ne l’aime point ? répliqua Oreste avec une sorte d’emportement. Il s’agit bien de cela ! Dois-je la charité d’amour à toutes les pécores et donzelles qui ont la fantaisie de s’enamourer de moi ? Je suis trop bon. Je me laisse aller à ces yeux de carpe pâmée, à ces pleurnicheries, à ces soupirs, à ces jérémiades, et je finis par être embéguiné, tout en maugréant de ma débonnaireté et couardise. Désormais je serai d’une férocité hyrcanienne, froid comme Hippolyte et fuyard des femmes, ainsi que Joseph. Adroite la Putiphar qui mettra la griffe sur le bord de mon manteau ! Je me déclare d’ores et en avant misogyne, c’est-à-dire ennemi du