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LE CAPITAINE FRACASSE.

se rapprochait et bientôt la forme vague d’un homme portant quelque chose s’ébaucha dans la brume matinale. Le corbeau jugea prudent de se retirer et il prit son vol en poussant un long croassement pour avertir ses compagnons du péril.

Toute la bande s’envola vers les arbres voisins avec des cris rauques et stridents. L’homme était arrivé près de la voiture, et, surpris de rencontrer au milieu de la route un chariot sans maître attelé d’une bête qui, comme la jument de Roland, avait pour principal défaut d’être morte, il s’arrêta, jetant autour de lui un regard furtif et circonspect.

Pour mieux examiner la chose, il déposa son fardeau à terre. Le fardeau se tint debout tout seul et se mit à marcher, car c’était une fillette d’une douzaine d’années environ, que la longue mante qui l’enveloppait des pieds à la tête pouvait, lorsqu’elle était ployée sur l’épaule de son compagnon, faire prendre pour une valise ou bissac de voyage. Des yeux noirs et fiévreux brillaient d’un feu sombre sous le pli de l’étoffe dont elle était coiffée, des yeux absolument pareils à ceux de Chiquita. Un fil de perles mettait quelques points lumineux dans l’ombre fauve de son col, et des chiffons tortillés en cordelettes, formant contraste avec cet essai de luxe, s’enroulaient autour de ses jambes nues.

C’était, en effet, Chiquita elle-même, et le compagnon n’était autre qu’Agostin, le bandit aux mannequins : las d’exercer sa noble profession sur des chemins déserts, il se rendait à Paris où tous les talents