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LE CAPITAINE FRACASSE.

des champs sont terminés. C’est le temps des longues veillées nocturnes. On nous prêtera bien quelque grange ou quelque étable. Scapin battra la caisse devant la porte promettant un spectacle extraordinaire et mirifique aux patauds ébahis avec cette facilité de payer leur place en nature. Un poulet, un quartier de jambon ou de viande, un broc de vin donneront droit aux premières banquettes. On acceptera pour les secondes un couple de pigeons, une douzaine d’œufs, une botte de légumes, un pain de ménage ou toute autre victuaille analogue. Les paysans, avaricieux d’argent, ne le sont pas de provisions qu’ils ont en leur huche et qui ne leur coûtent rien, suppéditées par la bonne mère nature. Cela ne nous remplira pas la bourse, mais bien le ventre, chose importante, car de Gaster dépend toute l’économie et santé du corps, comme le faisait sagement remarquer Ménénius. Ensuite il ne nous sera pas difficile de gagner Poitiers, où je sais un aubergiste qui nous fera crédit.

— Mais quelle pièce jouerons-nous, dit Scapin, au cas où le village se rencontrerait à propos ? Notre répertoire est fort détraqué. Les tragédies et tragi-comédies seraient du pur hébreu pour ces rustiques ignorants de l’histoire et de la fable, et n’entendant pas même le beau langage français. Il faudrait quelque bonne farce réjouissante, saupoudrée non de sel attique, mais de sel gris, avec force bastonnades, coups de pied au cul, chutes ridicules et scurrilités bouffonnes à l’italienne. Les rodomontades du capitaine Matamore eussent merveilleusement convenu. Par