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LE CAPITAINE FRACASSE.

qu’on place dans les cabinets parmi les autres curiosités, ou bien encore de ces animaux fantastiques à qui les sorcières, allant au sabbat, confient le soin d’écumer le chaudron où bouillent leurs philtres.

Ce chat tout seul, dans cette cuisine, semblait faire la soupe pour lui-même, et c’était sans doute lui qui avait disposé sur la table de chêne une assiette à bouquets verts et rouges, un gobelet d’étain, fourbi sans doute avec ses griffes tant il était rayé, et un pot de grès sur les flancs duquel se dessinaient grossièrement, en traits bleus, les armoiries du porche, de la clef de voûte et des portraits.

Qui devait s’asseoir à ce modeste couvert apporté dans ce manoir sans habitants ? peut-être l’esprit familier de la maison, le genius loci, le Kobold fidèle au logis adopté, et le chat noir à l’œil si profondément mystérieux attendait sa venue pour le servir la serviette sur la patte.

La marmite bouillait toujours, et le chat restait immobile à son poste, comme une sentinelle qu’on a oublié de relever. Enfin un pas se fit entendre, pas lourd et pesant, celui d’une personne âgée ; une petite toux préalable résonna, le loquet de la porte grinça, et un bonhomme, moitié paysan, moitié domestique, fit son entrée dans la cuisine.

À l’apparition du nouveau venu, le chat noir, qui semblait lié de longue date avec lui, quitta les cendres de l’âtre et se vint frotter amicalement contre ses jambes, arquant le dos, ouvrant et refermant ses griffes, en faisant sortir de sa gorge ce murmure en-