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LE CAPITAINE FRACASSE.

brave Matamore, ils ne soupèrent que du bout des lèvres. Pour la première fois peut-être de sa vie, quoique le vin fût bon, Blazius laissa son verre demi-plein, oubliant de boire. Certes, il fallait qu’il fût bien navré dans l’âme, car il était de ces biberons qui souhaitaient d’être enterrés sous le baril, afin que la cannelle leur dégoutte dans la bouche, et il se fût relevé du cercueil pour crier « masse » à un rouge-bord.

Isabelle et Sérafine s’arrangèrent d’un grabat dans la chambre voisine. Les hommes s’étendirent sur des bottes de paille que le garçon d’écurie leur apporta. Tous dormirent mal, d’un sommeil entrecoupé de rêves pénibles, et furent sur pied de bonne heure, car il s’agissait de procéder à la sépulture de Matamore.

Faute de drap, Léonarde et l’hôtesse l’avaient enseveli dans un lambeau de vieille décoration représentant une forêt, linceul digne d’un comédien, comme un manteau de guerre d’un capitaine. Quelques restes de peinture verte simulaient, sur la trame usée, des guirlandes et feuillages, et faisaient l’effet d’une jonchée d’herbes semée pour honorer le corps, cousu et paqueté en la forme de momie égyptienne.

Une planche posée sur deux bâtons, dont le Tyran, Blazius, Scapin et Léandre tenaient les bouts, forma la civière. Une grande simarre de velours noir, constellée d’étoiles et demi-lunes de paillon, servant pour les rôles de pontife ou de nécroman, fit l’office de drap mortuaire avec assez de décence.

Ainsi disposé, le cortège sortit par une porte de derrière donnant sur la campagne, pour éviter les re-