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LE CAPITAINE FRACASSE.

négociations nécessaires pour procurer un gîte à la troupe. L’auberge lui fut indiquée, ou du moins une maison qui en tenait lieu, l’endroit n’étant pas très-fréquenté des voyageurs, qui d’ordinaire poussaient plus avant. C’était à l’autre bout du village, et il fallut que la pauvre rosse donnât encore un coup de collier ; mais elle sentait l’écurie, et dans un effort suprême, ses sabots, à travers la neige, arrachèrent des étincelles aux cailloux. Il n’y avait pas à s’y tromper ; une branche de houx, assez semblable à ces rameaux qui trempent dans les eaux lustrales, pendait au-dessus de la porte, et Scapin, en haussant sa lanterne, constata la présence de ce symbole hospitalier. Le Tyran tambourina de ses gros poings sur la porte, et bientôt un clappement de savates descendant un escalier se fit entendre à l’intérieur. Un rayon de lumière rougeâtre filtra par les fentes du bois. Le battant s’ouvrit, et une vieille, protégeant d’une main sèche qui semblait prendre feu la flamme vacillante d’un suif, apparut dans toute l’horreur d’un négligé peu galant. Ses deux mains étant occupées, elle tenait entre les dents ou plutôt entre les gencives les bords de sa chemise en grosse toile, dans l’intention pudique de dérober aux regards libertins des charmes qui eussent fait fuir d’épouvante les boucs du sabbat. Elle introduisit les comédiens dans la cuisine, planta la chandelle sur la table, fouilla les cendres de l’âtre pour y réveiller quelques braises assoupies qui bientôt firent pétiller une poignée de broussailles ; puis elle remonta dans sa chambre pour revêtir un jupon et un casaquin. Un