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EFFET DE NEIGE.

d’une façon dérisoire, en méchants oiseaux sans cœur qu’elles étaient, insensibles à la misère du pauvre monde.

Une bise aigre sifflait, collant leurs minces capes sur le corps des comédiens, et leur souffletant le visage de ses doigts rouges. Aux tourbillons du vent se mêlèrent bientôt des flocons de neige, montant, descendant, se croisant sans pouvoir toucher la terre ou s’accrocher quelque part, tant la rafale était forte. Ils devinrent si pressés, qu’ils formaient comme une obscurité blanche à quelques pas des piétons aveuglés. À travers ce fourmillement argenté, les objets les plus voisins perdaient leur apparence réelle et ne se distinguaient plus.

« Il paraît, dit le Pédant, qui marchait derrière le chariot pour s’abriter un peu, que la ménagère céleste plume des oies là-haut et secoue sur nous le duvet de son tablier. La chair m’en plairait davantage, et je serais bien homme à la manger sans citron ni épices.

— Voire même sans sel, répondit le Tyran ; car mon estomac ne se souvient plus de cette omelette dont les œufs piaillaient quand on les cassa sur le bord du poêlon et que j’ai avalée sous le titre fallacieux et sarcastique de déjeuner, malgré les becs qui la hérissaient. »

Sigognac s’était aussi réfugié derrière la voiture, et le Pédant lui dit : « Voilà un terrible temps, monsieur le Baron, et je regrette pour vous de vous voir partager notre mauvaise fortune, mais ce sont tra-