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EFFET DE NEIGE.

réservée et discrète, les tenir à distance comme il convient, continuant, hors de la scène, mon rôle d’ingénue, sans hypocrisie ni fausse pudeur. »

Ainsi, tout en marchant, Isabelle racontait à Sigognac charmé l’histoire de sa vie et aventures.

« Et le nom de ce grand, dit Sigognac, le savez-vous ou l’avez-vous oublié ?

— Il serait peut-être dangereux pour mon repos de le dire, répondit Isabelle, mais il est resté gravé dans ma mémoire.

— Existe-t-il quelque preuve de sa liaison avec votre mère ?

— Je possède un cachet armorié de son blason, dit Isabelle, c’est le seul joyau que ma mère ait gardé de lui à cause de sa noblesse et signification héraldique qui effaçait l’idée de valeur matérielle, et si cela vous amuse, je vous le montrerai un jour. »

Il serait par trop fastidieux de suivre étape par étape le chariot comique, d’autant plus que le voyage se faisait à petites journées, sans aventures dont il faille garder mémoire. Nous sauterons donc quelques jours, et nous arriverons aux environs de Poitiers. Les recettes n’avaient pas été fructueuses et les temps durs étaient venus pour la troupe. L’argent du marquis de Bruyères avait fini par s’épuiser, ainsi que les pistoles de Sigognac, dont la délicatesse eût souffert de ne pas soulager, dans les mesures de ses pauvres ressources, ses camarades en détresse. Le chariot, traîné par quatre bêtes vigoureuses au départ, n’avait plus qu’un seul cheval, et quel cheval ! une misérable rosse qui