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LE CAPITAINE FRACASSE.

leurs avec un frisson argentin de grelots. Quoique des œillères de cuir piquées de broderies l’empêchassent de porter ses regards à droite et à gauche, elle avait senti l’approche de la voiture ; les nutations des ses longues oreilles témoignaient d’une curiosité inquiète, et ses lèvres retroussées découvraient ses dents.

« La colonelle remue ses cornets et montre ses gencives, dit l’un des hommes, le chariot ne doit pas être loin maintenant. »

En effet, la charrette des comédiens arrivait au carrefour. Zerbine, assise sur le devant de la voiture, jeta un coup d’œil rapide sur le groupe de bêtes et de gens dont la présence en ce lieu ne parut pas la surprendre.

« Pardieu ! voilà un galant équipage, dit le Tyran, et de belles mules d’Espagne à faire leurs quinze ou vingt lieues dans la journée. Si nous étions ainsi montés, nous serions bientôt arrivés devers Paris. Mais qui diable attendent-elles donc là ? C’est sans doute quelque relais préparé pour un seigneur.

— Non, reprit la duègne, la mule est harnachée d’oreillers et couvertures comme pour une femme.

— Alors, dit le Tyran, c’est un enlèvement qui se prépare, car ces deux écuyers en livrée grise ont l’air fort mystérieux.

— Peut-être, répondit Zerbine avec un sourire d’une expression équivoque.

— Est-ce que la dame serait parmi nous ? fit le Scapin ; un des deux écuyers se dirige vers la voiture, comme s’il voulait parlementer avant d’user de violence.