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LE CAPITAINE FRACASSE.

brûlé par vos yeux, sur le bûcher de mon amour. »

Qu’aurait répondu la marquise à cette brûlante épître, qui peut-être avait servi plusieurs fois ? il faudrait connaître bien à fond le cœur féminin pour le savoir. Par malheur, la lettre n’arriva pas à son adresse. Entiché de grandes dames, Léandre ne regardait point les soubrettes et n’était point galant avec elles. En quoi il avait tort, car elles peuvent beaucoup sur les volontés de leurs maîtresses. Si les pistoles eussent été appuyées de quelques baisers et lutineries, Jeanne, satisfaite en son amour-propre de femme de chambre, qui vaut bien celui d’une Reine, eût mis plus de zèle et de fidélité à s’acquitter de sa commission.

Comme elle tenait négligemment la lettre de Léandre à la main, le marquis la rencontra et lui demanda par manière d’acquit, n’étant pas de sa nature un mari curieux, quel était ce papier qu’elle portait ainsi.

« Oh ! pas grand’chose, répondit-elle, une missive de M. Léandre à madame la marquise.

— De Léandre, l’amoureux de la troupe, celui qui fait le galant dans les Rodomontades du capitaine Matamore ! Que peut-il écrire à ma femme ? sans doute il lui demande quelque gratification.

— Je ne pense point, répondit la rancunière suivante ; en me remettant ce poulet, il poussait des soupirs et faisait des yeux blancs comme un amoureux pâmé.

— Donne cette lettre, fit le marquis, j’y répondrai. N’en dis rien à la marquise. Ces baladins sont parfois impertinents, et, gâtés par les indulgences qu’on a, ne savent point se tenir en leur place. »