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LE CAPITAINE FRACASSE.

visiteur assez hardi pour pénétrer jusque-là. Les souris grignotaient faméliquement quelques bouts de laine à l’envers de la basse lisse. Les vers râpaient le bois des poutres avec un bruit de lime sourde, et l’horloge de la mort frappait l’heure sur les panneaux des boiseries.

Quelquefois un ais de meuble craquait inopinément, comme si la solitude ennuyée étirait ses jointures, et vous causait, malgré vous, un tressaillement nerveux. Un lit à colonnes en quenouille, fermé par des rideaux de brocatelle coupés à tous leurs plis et dont les ramages verts et blancs se confondaient dans une même teinte jaunâtre, occupait un coin de la pièce, et l’on n’eût osé en relever les pentes de peur d’y trouver dans l’ombre quelque larve accroupie ou quelque forme roide dessinant, sous la blancheur du drap, un nez pointu, des pommettes osseuses, des mains jointes et des pieds placés comme ceux des statues allongées sur des tombeaux ; tant les choses faites pour l’homme et d’où l’homme est absent prennent vite un air surnaturel ! On eût pu supposer aussi qu’une jeune princesse enchantée y reposait d’un sommeil séculaire comme la Belle au bois dormant, mais les plis avaient une rigidité trop sinistre et trop mystérieuse pour cela et s’opposaient à toute idée galante.

Une table en bois noir avec les incrustations de cuivre qui se détachaient, un miroir trouble et louche, dont le tain avait coulé, las de ne pas refléter de figure humaine, un fauteuil de tapisserie au petit point, ouvrage de patience et de loisir mené à fin par quelque