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LE CAPITAINE FRACASSE.

les silences, les soupirs, le ton bas et confidentiel de l’entretien accusaient les préoccupations de l’âme.

L’appartement d’Yolande, voisin de celui de la marquise, donnait sur le parc, et comme, après que ses femmes l’eurent défaite, la belle jeune fille regardait distraitement à travers la croisée la lune briller au-dessus des grands arbres, elle aperçut sur la terrasse Isabelle et Sigognac, qui se promenaient sans autre accompagnement que leur ombre.

Certes, la dédaigneuse Yolande, fière comme une déesse qu’elle était, n’avait que mépris pour le pauvre baron Sigognac, devant qui parfois à la chasse elle passait comme un éblouissement dans un tourbillon de lumière et de bruit, et que dernièrement même elle avait presque insulté ; mais cela lui déplut de le voir sous sa fenêtre, près d’une jeune femme à laquelle sans doute il parlait d’amour. Elle n’admettait pas qu’on pût ainsi secouer son servage. On devait mourir silencieusement pour elle.

Elle se coucha d’assez mauvaise humeur et eut quelque peine à s’endormir ; ce groupe amoureux poursuivait son imagination.

Sigognac remit Isabelle à sa chambre, et comme il allait rentrer dans la sienne, il aperçut au fond du corridor un personnage mystérieux drapé d’un manteau couleur de muraille, dont le pan rejeté sur l’épaule cachait la figure jusqu’aux yeux ; un chapeau rabattu dérobait son front, et ne permettait pas de distinguer ses traits non plus que s’il eût été masqué. En voyant Isabelle et le Baron, il s’effaça de son mieux contre le