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LE CAPITAINE FRACASSE.

l’aigle de Jupin qui refusait de venir sur le pré à mon appel, me redoutant plus que les Titans, battu le fusil avec les carreaux de la foudre, éventré le ciel du croc de sa moustache, il est, certes, loisible de se permettre quelques récréations et badineries. D’ailleurs, l’univers soumis n’offre plus de résistance à mon courage, et la parque Atropos m’a fait savoir que ses ciseaux s’étant ébréchés à couper le fil des destinées que moissonnait ma flamberge, elle avait été obligée de les envoyer au rémouleur. Donc, Scapin, il me faut tenir à deux mains ma vaillance, faire trêve aux duels, guerres, massacres, dévastations, sacs de villes, luttes corps à corps avec les géants, tueries de monstres à l’instar de Thésée et d’Hercule à quoi j’occupe ordinairement les férocités de mon indomptable bravoure. Je me repose. Que la mort respire ! Mais à quels divertissements le seigneur Mars, qui près de moi n’est qu’un bien petit compagnon, passe-t-il ses vacances et congés ? Entre les bras blancs et poupins de la dame Vénus, laquelle, comme déesse de bon entendement, préfère les gens d’armes à tous autres, fort dédaigneuse de son boiteux et cornard de mari. C’est pourquoi j’ai bien voulu condescendre à m’humaniser, et voyant que Cupidon n’osait se hasarder à décocher sa flèche à pointe d’or contre un vaillant de mon calibre, je lui ai fait un petit signe d’encouragement. Même pour que son dard pût pénétrer en ce généreux cœur de lion, j’ai dépouillé cette cotte de mailles faite des anneaux donnés par les déesses, impératrices, reines, infantes, princesses et grandes de tous pays,