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LE CAPITAINE FRACASSE.

dire en galants hiéroglyphes qu’on ne pouvait arriver à la bouche qu’en passant par le cœur.

Satisfaite d’elle-même, après un dernier coup d’œil jeté au miroir de Venise penché sur la toilette, la marquise se leva et fit quelques pas dans la chambre ; mais, se ravisant bientôt, car elle s’était aperçue qu’il lui manquait quelque chose, elle revint et prit dans un coffret une grosse montre, un œuf de Nuremberg, comme on disait alors, curieusement émaillée de diverses couleurs, constellée de brillants, et suspendue à une chaîne terminée par un crochet qu’elle agrafa dans sa ceinture, près d’un petit miroir à main encadré de vermeil.

« Madame est en beauté aujourd’hui, dit Jeanne d’une voix câline ; elle est coiffée à son avantage, et sa robe lui sied on ne peut mieux.

— Tu trouves ? répondit la marquise, traînant ses paroles avec une nonchalance distraite ; il me semble au contraire que je suis laide à faire peur. J’ai les yeux cernés, et cette couleur me grossit. Si je me mettais en noir ? Qu’en penses-tu, Jeanne ? le noir fait paraître mince.

— Si madame le désire, je vais lui passer sa robe de taffetas queue-de-merle ou fleur-de-prune, ce sera l’affaire d’un instant ; mais je crains que madame ne gâte une toilette bien réussie.

— Ce sera ta faute, Jeanne, si je mets les Amours en fuite et si je ne fais pas ce soir ma récolte de cœurs. Le Marquis a-t-il invité beaucoup de monde à cette comédie ?