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LE CAPITAINE FRACASSE.
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au petit laquais qui serait allé prévenir la camériste, nous pénétrerons dans la chambre à coucher, sûr de ne déranger personne. L’écrivain qui fait un roman porte naturellement au doigt l’anneau de Gygès, lequel rend invisible.

C’était une pièce vaste, haute de plafond et décorée somptueusement. Des tapisseries de Flandres, représentant les aventures d’Apollon, recouvraient les murailles de teintes chaudes, riches et moelleuses. Des rideaux de damas des Indes cramoisi tombaient à plis amples le long des fenêtres, et, traversés par un gai rayon de lumière, prenaient une transparence pourprée de rubis. La garniture du lit était de la même étoffe dont les lés accusés par des galons formaient des cassures régulières, miroitées de reflets. Un lambrequin pareil à celui des dais en entourait le ciel, orné aux quatre coins de gros panaches de plumes incarnadines. Le corps de la cheminée faisait une assez forte saillie dans la chambre, et il montait visible jusqu’au plafond enveloppé par la haute lice. Un grand miroir de Venise enrichi d’un cadre de cristal, dont les tailles et les carres scintillaient, illuminées de bluettes multicolores, se penchait de la moulure vers la chambre pour aller au-devant des figures. Sur les chenets, formés comme par une suite de renflements étranglés et surmontés d’une énorme boule de métal poli, brûlaient en petillant trois bûches qui eussent pu servir de bûches de Noël. La chaleur qu’elles répandaient n’était pas superflue, à cette époque de l’année, dans une pièce de cette dimension.