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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

ramides, en boules, en pots à feu, alternés de distance en distance, découpaient leur feuillage sombre toujours vert et se tenaient rangés comme une haie de serviteurs sur le passage des hôtes.

Toutes ces magnificences émerveillaient au plus haut degré les pauvres comédiens, qui, rarement, avaient été admis en de pareils séjours. Sérafine, guignant ces splendeurs du coin de l’œil, se promettait bien de couper l’herbe sous le pied à la Soubrette et de ne pas permettre à l’amour du marquis de déroger ; cet Alcandre lui semblait revenir de droit à la grande coquette. Depuis quand voit-on la suivante avoir la préséance sur la dame ? La Soubrette, sûre de ses charmes, niés des femmes mais reconnus des hommes sans conteste, se regardait déjà presque comme chez elle, non sans raison ; elle se disait que le marquis l’avait particulièrement distinguée, et que d’une œillade assassine adressée en plein cœur lui venait subitement ce goût de comédie. Isabelle, qu’aucune visée ambitieuse ne préoccupait, tournait la tête vers Sigognac assis derrière elle dans le chariot, où une sorte de pudeur l’avait fait se réfugier, et de son vague et charmant sourire elle cherchait à dissiper l’involontaire mélancolie du Baron. Elle sentait que le contraste du riche château de Bruyères et du misérable castel de Sigognac devait produire une impression douloureuse sur l’âme du pauvre gentilhomme, réduit par la mauvaise fortune à suivre les aventures d’une charretée de comédiens errants, et avec son doux instinct de femme, elle jouait tendrement autour de ce brave