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BRIGANDS POUR LES OISEAUX.

luisent dans le rictus d’un animal acculé. Toute sa petite personne respirait indomptablement la haine et la révolte.

Agostin balança une seconde fois le couteau, et peut-être le baron de Sigognac eût-il été arrêté au début de ses aventures, si une main de fer n’avait saisi fort opportunément le poignet du bandit. Cette main, serrant comme un étau dont on tourne la vis, écrasait les muscles, froissait les os, faisait gonfler les veines et venir le sang dans les ongles. Agostin essaya de se débarrasser par des secousses désespérées ; il n’osait se retourner, car le Baron l’eût lardé dans le dos, et il parait encore les coups de son bras gauche, et pourtant il sentait que sa main prise s’arracherait de son bras avec ses nerfs s’il persistait à la délivrer. La douleur devint si violente que ses doigts engourdis s’entr’ouvrirent et lâchèrent l’arme.

C’était le Tyran qui, passant derrière Agostin, avait rendu ce bon office à Sigognac. Tout à coup il poussa un cri :

« Mordious ! est-ce qu’une vipère me pique ; j’ai senti deux crocs pointus m’entrer dans la jambe ! »

En effet, Chiquita lui mordait le mollet comme un chien pour le faire retourner ; le Tyran, sans lâcher prise, secoua la petite fille et l’envoya rouler à dix pas sur le chemin. Le Matamore, reployant ses longs membres articulés comme ceux d’une sauterelle, se baissa, ramassa le couteau, le ferma et le mit dans sa poche.

Pendant cette scène, le soleil émergeait petit à petit