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LE CAPITAINE FRACASSE.

émérite. Tu m’appris à parler le narquois, à me déguiser de vingt manières diverses, comme feu Protéus quand il était pressé des gens ; à ficher le couteau dans le nœud d’une planche à trente pas de distance ; à moucher une chandelle d’un coup de pistolet ; à passer comme la bise à travers les serrures ; à me promener invisible par les logis, de même que si j’eusse eu une main de gloire en ma possession ; à trouver les cachettes les plus absconses, et cela sans baguette de coudrier ! Que de bonnes doctrines j’ai reçues de toi, grand homme ! et comme tu me fis voir, par raisons éloquemment déduites, que le travail était fait pour les sots ! Pourquoi faut-il que la fortune marâtre t’ait réduit à mourir de faim dans cette caverne, dont les issues étaient gardées et où les sergents n’osaient pénétrer ; car nul ne se soucie, pour brave qu’il soit, d’affronter le lion en son antre même ; mourant, il peut encore abattre cinq ou six compagnons, de sa griffe ou de sa dent ! Allons, toi à qui, indigne, j’ai succédé, commande sagement cette petite troupe chimérique et fallotte, ces mannequins spectres des braves que nous avons perdus, et qui, bien que défunts, rempliront encore, comme le Cid mort, leur office de vaillants. Vos ombres, glorieux bandits, suffiront à détrousser ces bélîtres. »

Sa besogne terminée, le bandit alla se planter sur la route pour juger de l’effet de la mascarade. Les brigands de paille avaient l’air suffisamment horrifique et féroce, et l’œil de la peur pouvait s’y tromper dans l’ombre de la nuit ou le crépuscule du matin, à cette