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BRIGANDS POUR LES OISEAUX.

de l’escarpement, le dressa, et le fit tenir debout en fichant en terre le pieu auquel le corps était lié. Ainsi maintenu, le cadavre singeait assez à travers l’ombre l’apparence d’un homme vivant.

«  Hélas ! à quoi en suis-je réduit par le malheur des temps, dit Agostin avec un han de saint Joseph. Au lieu d’une bande de vigoureux drôles, maniant le couteau et l’arquebuse comme des soldats d’élite, je n’ai plus que des mannequins couverts de guenilles, des épouvantails à voyageurs, simples comparses de mes exploits solitaires ! Celui-ci, c’était Matasierpes, le vaillant Espagnol, mon ami de cœur, un garçon charmant, qui avec sa navaja traçait des croix sur la figure des gavaches aussi proprement qu’avec un pinceau trempé dans du rouge ; bon gentilhomme d’ailleurs, hautain comme s’il était issu de la propre cuisse de Jupiter, présentant le coude aux dames pour descendre de coche et détroussant les bourgeois d’une façon grandiose et royale ! Voilà sa cape, sa golille et son sombrero à plume incarnadine que j’ai pieusement dérobés au bourreau comme des reliques, et dont j’ai revêtu l’homme de paille qui remplace ce jeune héros digne d’un meilleur sort. Pauvre Matasierpes ! cela le contrariait d’être pendu, non qu’il se souciât du trépas ; mais comme noble, il prétendait avoir le droit d’être décapité. Par malheur, il ne portait pas sa généalogie dans sa poche, et il lui fallut expirer perpendiculairement. »

Retournant près de la fosse, Agostin prit un autre mannequin coiffé d’un béret bleu :